PLACE DE L’ÉGLISE
Sur le devant de l’église, un espace irrégulier se forme, il est quelque peu exigu : c’est qu’il ne reste pas grand-chose entre la muraille du château et l’entrée de l’église, avec au sud un ancien et vaste presbytère bâti vers 1525, sans doute détruit vers 1592 ou 1595 ! Mais cette placette est intime, en même temps elle donne sur la colline, sur l’espace et le ciel. C’est l’un des cœurs du village. Ici, on vient pour se faire baptiser au seuil de la vie et pour l’ultime voyage dans la compagnie de toutes les familles mimétaines. Entre temps, on y vient pour se marier, fonder une famille. Ce sont les événements fondamentaux de la vie : naissance, mariage, mort. Cette place vous reçoit pour les trois, autrefois dans une ferveur générale, aujourd’hui plus humblement. Mais rien de changé depuis le Xe siècle. Un millénaire, combien d’enfants, de femmes, d’hommes ont commencé et fini sur cette placette ? Que recèle son sol, quelles traces archéologiques sous quelques centimètres de goudron ?
Pourtant, devant l’église, placé bien en évidence, s’élevait un pilier « à 19 pans (environ 4,70 m.) de la façade », ou plutôt de la porte du sanctuaire : il portait « deux écussons à mes armoiries et un carcan » nous conte Honoré Gras de Prégentil en son Livre de Raison écrit à la fin du XVIIIe siècle. Il fut le dernier seigneur de Mimet. Or, placé de la sorte, cet insigne du pouvoir terrestre sembla injurieux au Père Mauvans de la Maison de Notre-Dame des Anges, un oratorien, religieux éclairé par l’esprit du XVIIIe et sans doute par l’Encyclopédie. Sans lui demander son avis, le Père Mauvans fit déplacer ledit pilier, « 9 pans (2,30m.) de haut et à la base, un pan et trois quarts d’épaisseur (environ 40 cm.) à trois cannes » … de l’endroit où il était. Si l’on fait le compte, ce symbole seigneurial se retrouva juste au pied de la muraille du château, presque contre. De la sorte, il n’était plus au milieu du passage et devenait presque acceptable à la fois pour les gens d’Eglise et pour les Mimétains qui avaient sous leur nez le fameux anneau du carcan infamant pour eux car signe du pouvoir de basse justice exercé par leur seigneur.
Mais de Gras ne se laissa pas faire : « …je portais plainte au lieutenant-général de la sénéchaussée d’Aix. Le Père Mauvans… m’offrit de faire rétablir, à ses frais, le pilier au point où il était. Ce qui eut lieu. » Et il ajoute, « le carcan est placé du côté du midi : un écusson à mes armes se trouve faisant aussi face au midi, et l’autre au couchant. »
On était en 1783, les rapports avec les gens de Notre-Dame des Anges et avec le seigneur se trouvaient émaillés de coups bas : pâturages illicites des troupeaux, bûcheronnages intempestifs… De Gras était tatillon, précis, exigeant, ordonné, fier de son rang et toujours prêt à le défendre. S’il ne survécut pas à la Révolution, il réussit à épargner une part de son bien. Son fils Jean-Paul de Gras, Monsieur de Mimet, vendit partie de son avoir de Mimet à Nicolas Delœuil en 1826, et le reste, en 1835, au marquis de Foresta. Le pilier et le carcan avaient disparu depuis 1789, les registres terriers en 1793, brûlés. Dommage pour l’Histoire !
L’église et sa placette retrouvèrent la paix : enterrements, mariages et baptêmes continuèrent. Dans les années d’après-guerre, ces deux dernières cérémonies s’accompagnaient de la distribution de piécettes de un et deux francs en nickel : elles étaient jetées en l’air et les jeunes les ramassaient avec avidité, sauf l’enfant de chœur qui observait cette récolte sans pouvoir intervenir. Ensuite, ils allaient aux épiceries dépenser leur fortune en sucettes, coco et biberines.
2 mars 2008, événement rare, descente d’une cloche de 1774, d’avant la Révolution à laquelle elle a échappé, et remplacement par une autre. Cette nouvelle, qui pèse 170 kilos, est faite d’étain et de cuivre plus des « secrets » qui donnent l’airain. Elle a été fondue le 31 janvier 2008, en une nuit, on l’a dédiée à Anne, la mère de la Vierge. Elle a pour marraine, Simone Samat et pour parrain, Jacques Beaucousin, et porte le message « paix et amour sur la terre » qui en a bien besoin. La précédente de 1774 disait « de la foudre et de la tempête, libère-nous, Seigneur ». Le fondeur en était un certain Galopin d’Aix, comme pour l’autre cloche datée, elle, de 1661 et dédiée à « Jésus, Marie et Joseph », la Sainte Famille. Si bien que Mimet est une des rares paroisses à avoir conservé ses cloches du XVIIIe malgré la tourmente révolutionnaire. D’ordinaire, elles finissaient fondues, en canon ! En réalité, notre placette aurait connu une première intervention en 1744 pour une refonte, puis la pose d’une nouvelle cloche en 1661, une autre, en 1774 et enfin en 2008 avec chaque fois des réjouissances villageoises. Il n’y a pas de places sans histoires.
Bernard Duplessy