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Portraits

       LE JUGE ET LES COCHONS

         Monsieur Borely était Procureur Général au Parlement d’Aix. Il consacra sa vie à la justice et au ministère public, assoiffé d’équité, de vertu, de droiture et d’honneur. Il ouvrait les audiences solennelles de rentrée de la cour royale d’Aix par des discours enflammés de fidélité à la couronne et à la Charte de 1830. Il était Philippard et fier de l’être. Ce qui devait arriver arriva : dès 1847, il fut destitué. A huit ans, gageons que Cézanne n’en fut pas affecté.

          Bref, Monsieur Borely se retrouva sans emploi, lui qui débordait d’idées. D’abord, et puisque l’Angleterre n’était pas à la mode, il fut anglophile jusqu'à la manie. Il possédait une belle propriété entre Gardanne et Mimet, dans la colline et décida d’en faire une ferme d’élevage pour les cochons. Mais pas n’importe comment. Il adopta l’élevage anglais avec des loges aménagées pour ses bêtes où vinrent des New Leicester, des Yorkshire, des Berkshire et même des Large White pig. Et il baptisa son domaine New-Pourcelles, ou New Powrcells en anglais ce qui fit grand effet chez les paysans de Mimet qui ne parlaient, alors, que le provençal !

          Toute cette cochonnaille prospérait car en plus de l’ordinaire, il y avait les glands des chênes. Dès 1853, Cézanne allait alors sur ses quatorze ans, Borely se vantait des médailles obtenues, du poids de ses champions et des encouragements venus directement du château de Windsor. Il publia même des prospectus publicitaires où il s’exprimait en français et en anglais ! Sans oublier les statues de cochons de toutes les tailles qu’il fit dresser auprès de sa demeure et sur la route !

          Comme Borely disposait encore d’un logement à la rue Goyrand, au 5, il continuait d’y pratiquer son hygiène de vie : l’hydrothérapie était sa troisième passion. Il possédait une cuve d’eau froide et y plongeait chaque matin, même l’hiver : c’était, paraît-il, très anglais ! Puis, il s’habillait, grimpait sur un cheval de bois à base mobile : ainsi juché, il s’agitait pour se réchauffer, recevait ensuite un pupitre et travaillait à ses écritures et ses comptes dans la position du cavalier anglais !

          Quand il venait à Aix, en son logis de la rue Goyrand, il amenait toujours un petit troupeau d’une douzaine de cochons et l’après-midi, monté sur un vrai cheval, il parcourait la rue Cardinale, le quartier Mazarin et même le Cours, poussant devant lui sa compagnie porcine. En ses multiples parcours, Cézanne dut assister à cette parade : nul doute qu’elle ait excité son penchant rebelle et peu conformiste et qu’ainsi, indirectement, Borely l’ait influencé. Les cochons de Borely croisaient dans les parages fréquentés par les potaches du lycée. Mais même en cette affaire, Borely ne fut pas reconnu par les siens qui disaient, en provençal : « n’est pas porcher celui qui conduit les porcs lui-même », et pourtant, il les élevait bien ! Borely pouvait se consoler avec ses amis anglais : il connut Lord Brougham et en sa compagnie participa à l’invention de la Côte d’Azur en commençant par Cannes.

           

        Puis, il mourut, et se fit enterrer à New-Powrcells, de façon anonyme et avec l’épitaphe suivante :

« Un magistrat vaincu s’exila par ici ;

en défendant les libertés publiques,

en soulevant la presse et le jury, 

il succomba : mais, ceint de ses reliques

[... ...]

Laissez dormir en paix celui dont la justice

sut tout pacifier sans aucun artifice.

Qu’en bourdonnant la garde d’un million

conserve ici derrière une tombe sans nom ».

Car il avait fait installer une ruche près de sa tombe !  

          Il y a quelques années, un admirateur de cochons descella et déroba la statue qui se dressait depuis plus d’un siècle sur une colonne, au bord de la route : c’était celle d’un fort beau porcelet taillé en un bloc de calcaire blanc. Une fierté pour tous.

          Ne faudrait-il pas, pour rendre hommage à Monsieur Borely, ex procureur, éleveur de Berkshire, sportif et provocateur, remplacer cette réjouissante image ? 

          A coup sûr, peu de villages peuvent s’enorgueillir de glorifier de la sorte un tel animal et que nous aimons tant ! Nul doute que des cars entiers de Japonais viendraient pour le photographier !

 

                                                                                                         

                                      

           ARSÈNE LEDI, ALIAS LUPIN, HÉLÈNE (L.N.) puis NIPUL…

         Il est né à Mimet, le 15 janvier 1913 et ma mère le 1er octobre 1913. Ils étaient frère et sœur de lait car ils avaient la même nourrice. À 21 ans, il travaille à la Régie du Canal du Verdon où il restera jusqu’en 1945. Surtout, pendant la seconde guerre mondiale, il eut double vie. En janvier 1942, Arsène, pseudo Lupin, entre au mouvement « Combat » : c’est un résistant. Il le restera jusqu’en 1945, sans se faire prendre.  

        Sa charge était la propagande et le renseignement. En septembre 1943, il passa au groupe « Fer Dusser » où il s’occupa à permettre le débarquement d’août 1944 en Provence.

         Arsène est un héros de la Résistance. Pour cela, il fut décoré treize fois. Parmi les décorations les plus prestigieuses figurent la Légion d’Honneur, la Croix de la France Libre, la Medal of Freedom des Etats-Unis…

         Pour le récompenser, et parce que les meilleures places furent prises par des résistants de la dernière heure, voire de la dernière minute, Arsène Lupin, alias L.N. (Hélène), fut envoyé au service de déminage.

        Sans doute espérait-on qu’il saute et disparaisse prématurément !  Il n’en fut rien. Lupin survécut : il commença, dès 1945-46, à Omaha Beach avec les mines « papillon ». Puis, lorsque les plages du débarquement devinrent fréquentables, il partit, avec sa famille, pour la Tunisie. Là aussi, il s’agissait de déminage et de bombes de quatre cents kilos. Tout cela à mains nues ou presque : il le fit durant quatre années.

         Ainsi, Arsène Lupin vécut plus d’une décennie, en un danger de mort permanent, comme il l’a écrit « … et tout ça pour des prunes » !

         Non, Arsène, ce ne fut pas « pour des prunes », tu es resté vivant et un exemple pour quelques Mimétains, dont je suis. Ce n’est déjà pas si mal : tu fus une fourmi courageuse qui ne recula devant rien.

         Puis, tu revins à Mimet, après plus de cinquante années de service, pour ta retraite. Tu y fus alors chasseur de grives à la saison, joueur de boules, aimable compagnon, écrivain de tes souvenirs, amoureux de l’Étoile qui est notre patrie.

 

           

 

 

 

           ÉPERNON

          Épernon et Mimet semblent une partie d'échecs : on avance un pion pour en masquer un autre ou préparer la capture d'un troisième !

            22 août 1589, c'est la prise et sans doute le sac du château de Mimet par les troupes gasconnes du duc d'Épernon. La chronique dit : le seigneur de Mimet était un protestant, Épernon un bon chrétien ! C'est à voir ! On dit aussi le château, l'une des 72 places fortes intérieures, vaincu par trahison intérieure. On est au mois d'août, il fait chaud, on peut envisager le manque d'eau, la soif, il faut se rendre.

          Quant à l'appartenance au monde protestant, voici la situation précise. Jean d'Estienne Chaussegros dit "le Rhoux", seigneur de Mimet, Lioux et Gardanne, Consul d'Aix et Procureur en 1559, viguier de Marseille, en 1575, épouse Blanche de Génas. Elle est fille de Jean, seigneur d'Eyguilles et de Pierredon : Jean est huguenot, fervent et ardent, on prêche en son jardin d'Avignon. La vérité est : le beau-père de Jean d'Estienne de Chaussegros est de la religion réformée et habite Avignon, à plus de cent kilomètres. Jean d'Estienne est bon catholique, la suite le prouvera.

 

          Mais qui est Épernon ? Un duc né en 1554, son nom, Jean-Louis de Nogaret de la Valette. Rubens l'a représenté en l'un de ses tableaux : visage rendu triangulaire par un collier de barbe taillé en pointe au menton, à l'image d'Henri III son roi bien-aimé dont il est un "mignon" zélé. Vêtu à l'espagnole selon la mode du temps, avec une fraise autour du cou, un regard méprisant, altier, on l'a surnommé le "demi-roi" tant était grand son attachement. Il est intelligent, courageux, rancunier, calculateur : un vrai homme politique. Il ne pardonne ni n'oublie rien. Son seul compétiteur est le duc de Joyeuse, autre "mignon".

          Ses armes, il les fait avec les cadets de Gascogne. Il grandit vite : pair de France et conseiller d'État en 1581, il est premier gentilhomme de la Chambre du Roi en 1582 et chevalier de l'Ordre du Saint-Esprit en 1583. Puis, Chevalier des Ordres du Roi en 1584 et Gouverneur de Provence en 1586 : il ne le restera qu'une année. Henri III le démet de cette dernière charge : raison politique, privée, on ne sait.

          Épernon se retire sur ses terres. Pas pour longtemps ! En 1589, trois événements se produisent. Le premier, le duc de Guise, 3e du nom, se fait assassiner d'un coup de poignard au sortir de la chambre du Roi : les "ligueurs", les ultra catholiques perdent leur meilleur soldat. Le second, le Roi Henri III est poignardé par Jaques Clément, un moine fanatisé. Enfin, par cette mort, la route du trône est ouverte à son cousin Henri de Navarre. Il lui reste à le conquérir.

          Épernon n'est pas homme à attendre : sur le lit de mort d'Henri III, il s'est rallié au futur Henri IV. Il espère, en récompense, le gouvernorat de la Provence, qui est confié... à Charles de Lorraine, duc de Guise, le fils du "Balafré" assassiné quelque temps auparavant !

          En réponse à l'insupportable choix d'un huguenot sur la route du trône de France, les ligueurs choisissent un autre roi : c'est Charles de Bourgogne, un homme âgé et incapable, on en fait Charles X, on frappe monnaie en son nom. Henri IV les défait la même année, puis les Espagnols, leurs alliés.

          Épernon, quant à lui, revient à la tête de sa troupe de Gascons et assiège le château de Mimet, toujours en 1589. Prise due à l'art de la guerre, à une trahison interne, à la soif de cet été 89, à un "arrangement" ? Un nid d'aigle bien utile, en vue d'Aix, la capitale de la Provence convoitée par Épernon. Lorsqu'il y fut gouverneur, lui et ses Gascons surent s'y faire haïr par exactions et pillages, tant des ligueurs que des royalistes. Cependant, Henri IV a besoin de son épée, il lui cède cette province qu'Épernon considère tel un fief personnel. Chose faite en 1592 ! C'est cette année qu'il saccage le village de Mimet, sans doute pour se faire la main avant Aix. En 1593, à Ceyreste, près de La Ciotat, il ordonne de "faire abattre et mettre res (ras de) terre le château et barricades dudit lieu "avec l'aide des "pionoyés" (pionniers) des lieux de Cuges, Cassis et Gémenos..." Puis, il met le siège devant Aix, en vain.

          En principe, Henri IV lui avait confié la pacification de la Provence où deux parlements s'opposaient : l'un, ligueur en Aix, l'autre, royal, à Pertuis. Épernon agissait au nom du roi, à sa manière : punir et piller.

          Le 25 juillet 1593, c'est l'abjuration d'Henri IV et son "Paris vaut bien une messe". Les Aixois ligueurs demandent une trêve ; Épernon n'en veut pas, mais le duc de Lesdiguières, François de Bonne, à l'appel des États de Provence, chasse les Gascons. Mais pas Épernon !

          Devant la tournure prise, Épernon ne peut rien empêcher : la paix arrive malgré lui. Les deux parlements n'en deviennent  plus qu'un. Le 8 juin 1594, c'est chose faite. Finies, les bonnes raisons de piller, tuer, violer. Il est sans troupe, surveillé par Lesdiguières qui est lui-même huguenot ! La Provence n'a plus guère de charme. Juste avant de perdre le gouvernorat, en 1595, Épernon avec quelques soudards soldés, gascons ou pas, met le feu à Mimet : pour ne pas perdre la main.

          Épernon avait dû plier, ce n'était pas dans sa nature. Le 14 mai 1610, Henri IV est poignardé par Ravaillac. Épernon était dans le carrosse : il ne bougea pas, lui, un guerrier. La veille, Marie de Médicis vient d'être couronnée reine : les intrigues vont pouvoir reprendre. Le 23 juin, Épernon procède au transfert de la dépouille d'Henri III à Saint-Denis, son roi, son ami assassiné par Jacques Clément.  

                                                                                                                                      

           Épernon ne pardonne ni n'oublie rien.      

                                                

       JEAN D'ESTIENNE DE CHAUSSEGROS

      

       En 1589, la seigneurie de Mimet appartient à Jean d'Estienne de Chaussegros : il était seigneur de Mimet, de Lioux et de Gardanne car sa mère, Françoise de Chaussegros, se maria en 1501 à Bérenger d'Estienne. Il naquit de cette union et porta dès lors le nom et les armes de ces deux familles.

       Il fut second consul d'Aix, procureur du pays en 1559 et viguier de Marseille en 1575 : une belle carrière de juriste. Mais Jean d'Estienne de Chaussegros se distingua par la suite. En 1574, il a épousé Blanche de Génas : elle est la fille de Jean, seigneur d'Eyguilles et de Pierredon. Jean est huguenot, fervent et ardent, on prêche en son jardin d'Avignon. Le beau-père d'Estienne est de la religion réformée et habite Avignon, à plus de cent kilomètres. D'Estienne est-il protestant ? On ne peut le dire : s'il l'est, c'est à la mode du futur Henri IV qui dira "Paris vaut bien une messe" pour devenir roi. Mais d'Estienne est partisan du Béarnais et s'affirme contre la Ligue catholique opposée à Henri, avec courage. Il se dresse contre le duc d'Épernon qui brigue le gouvernorat de la Provence, qu'il met à feu et à sang.

       Au point que le futur roi, en 1584 et 1585, le distingue et écrit en une de ses lettres : "je vous dirai que, pour cette heure, j'ai plus de bonne volonté que de moyens pour reconnaître les services du Sieur de Mimet, mais qu'il ne se présentera jamais d'occasion que je ne l'embrasse, de façon qu'il en demeure content", lettre écrite à Saint-Germain-en-Laye, le 27 novembre 1584. Henri continue : "...Monsieur, vous entendrez ce qui est de ma volonté et intention, par le Sieur de Mimet présent porteur, et vous croirez comme moi-même ce qu'il vous dira...". Jean d'Estienne de Chaussegros, seigneur de Mimet, se trouvait alors à Saint-Germain, en personne auprès d'Henri, futur roi de France. Ce dernier ne pouvait pas grand-chose pour ce partisan courageux capable de s'opposer à la barbarie, à la sauvagerie et à l'appétit du duc d'Épernon et de ses mercenaires gascons.

       Jean d'Estienne de Chaussegros n'était pas tolérant mais il était, comme Henri, le futur quatrième, animé par le désir d'une belle gouvernance pour son pays, à Mimet comme pour le royaume de France. Face à lui, les ligueurs, des ultra catholiques qui n'avaient de catholiques que le nom : avec, à leur service, des mercenaires assoiffés d'argent et de butin et commandés par le duc d'Épernon. Un homme ambitieux, avide, sans pitié, ne songeant qu'à ses intérêts, prêt à tout :  pillages, massacres, trahison, guerre. Seules sa personne et son aspiration comptaient.

       Jean va devoir se mesurer, les armes à la main, à Épernon, en son château de Mimet, en août 1589.

 

       Épernon ne paie pas la solde due à ses Gascons, des mercenaires  : plus simplement, il les envoie, sous les ordres de quelques chefs, ici un nommé d'Ampus, se payer sur la bête. C'est-à-dire piller, violer, voler, tuer, brûler... La guerre était devenue la solution. Le 20 août 1589, l'armée de la Ligue entre en campagne : on sort de Marseille, on assiège Aubagne, un détachement se présente à Mimet. Il est dit : "Ampus prit par escalade le château de Mimet, fit prisonnier le seigneur du lieu et l'envoya à Aix où il fut pendu."

       Par escalade, par trahison, par manque d'eau, on ne sait. En dix jours, Cabriès, Ventabren, Lambesc, Pélissane, toutes les petites garnisons tombent : à la tour de Bouc, il y avait trente-trois soldats, à Mimet, sans doute moins encore. En face, des gens de pied, des cavaliers, des arquebusiers, des canons...

       Jean fut emporté et pendu au gibet d'Aix, supplice réservé aux criminels, supplice infâmant. Le château fut pillé et sans doute brûlé, du moins la partie sud, celle du XVe siècle, car le donjon principal, tout en pierres, ne pouvait pas être incendié. Ampus, un vrai guerrier, mourut en 1591 d'une blessure devant  Tarascon. Pour Épernon qui lui promettait monts et merveilles, il était prêt à tout, même à la trahison.

       Pourquoi Ampus est-il venu à Mimet ?

       Par hasard ? Sûrement pas, le pillage d'un château et sans doute d'un si petit village ne semble pas une motivation suffisante.

       Qu'on se rappelle les lettres d'Henri IV, celles de Saint-Germain de 1584 : on y parle, le futur roi lui-même, du Sieur de Mimet, avec éloges. La prise du château de Mimet est une vengeance d'Épernon pour affaiblir Henri. La pendaison infâmante de Jean, en plus à Aix et au gibet, aussi. Tout cet épisode, plus ceux de 1593 et 1595 montrent la haine d'Épernon : Ampus a agi sur ordre précis du duc qui ne saura, toute sa vie, que se venger de ceux qui s'opposent à ses projets. Il ira jusqu'à participer à l'assassinat de son roi Henri IV en 1610.

 

       Mais, que veut dire "par escalade" ?

       "Par escalade" signifie des échelles ou plutôt des crocs jetés par dessus les remparts et fixés sur les rebords. Il fallait, pour les assiégés, couper les cordes à la hache, être rapides, courir le long du chemin de ronde. D'Ampus disposait d'assez de soldats, d'Estienne pas assez : une fois quelques hommes en haut, tout va très vite. Il y a des années que d'Ampus guerroie avec ses hommes. D'Estienne est courageux mais il ne fait pas le poids, pas plus lui que ses soldats et les quelques Mimétains dans la place. Les autres sont partis dans les collines pour s'y abriter. Au XVIe siècle, la nature des guerres a changé. La forteresse de Mimet, construite et imaginée aux Xe et XIe siècles, permettait de décourager ou de défaire de petites armées de quelques dizaines de guerriers. Au XVIe, Ampus dispose de centaines de soldats : il peut, grâce au nombre, déborder les défenses de Jean d'Estienne de Chaussegros.

       La prise a dû se faire en moins d'une heure, elle fut rapide parce que si on peut trancher quelques cordes avec leur croc, on ne peut le faire s'il y en a plus. Avec ceux qui restent, l'escalade est possible avec des soldats spécialistes de cette manière. La mort des quelques défenseurs réalisée, il reste à piller le château. Pour la partie "moderne", celle du XVe siècle, à y mettre le feu. Jean d'Estienne est emmené comme prisonnier. On néglige sa femme, Blanche de Génas, et ses enfants. En Aix, Épernon est trop heureux de pendre ce petit noble, tant apprécié d'Henri IV, au gibet de la Madeleine : hasard étrange, à quelques pas du futur hôtel du dernier seigneur de Mimet, de Gras de Prégentil ! Jean laissait derrière lui son épouse et ses quatre enfants dont Honoré, le cadet : il réapparaîtra plus tard ! 

 

       Ce sont les guerres dites "de religion" qui ensanglantent et ruinent la Provence. En réalité, les grands nobles s'efforcent à gagner fortune sous ce prétexte, ergotant sur l'appartenance huguenote du futur Henri IV, depuis plus de dix ans.

       Pourtant, le Béarnais, établi roi en 1589, abjure à Saint-Denis le 23 août 1593 : même devenu catholique, rien n'y fait. En 1593 Gardanne, pris par Épernon, se révolte contre ce dernier, le 2 décembre. Le duc lâche ses loups, Mimet est à nouveau pris à partie : une habitude !

       Le 3 janvier 1593, la noblesse réunie à Aix reconnaît Henri comme roi. Le 22 mars 1594, Paris lui ouvre ses portes.

       Début septembre 1595, "la garnison de Marignane alla mettre le feu aux aires de Mimet et de Gardanne". Des aires, il y en avait une dizaine, récoltes faites, des colonnes de fumée s'élevèrent. Aux abois, Épernon affame des populations entières et toujours, celle de Mimet : pas de grain, pas de pain, et en pure perte. C'est la méchanceté gratuite, inutile, une année de famine assurée. Conséquences : "...les campagnes en friche, les châteaux brûlés, les fermes en ruine, les familles décimées, les habitants accablés d'impôts, les nobles couverts de dettes", sombre tableau pour cette troisième intervention en six années à Mimet, et par vengeance.

       Le 16 novembre 1595, même pas deux mois plus tard, Épernon est révoqué par Henri. Il ne s'en ira que le 27 mai 1596, six mois encore !

       Les Provençaux, les Mimétains diront "a fa maï de maou que Pernoun". Ce dernier continuera à sévir : il complote contre Henri IV et parvient, avec d'autres, à le faire assassiner, puis il se retirera sur ses terres où il vivra jusqu'en 1642. Il mourra, dans son lit, à 89 ans, à Loches, protégé par le diable.

 

       Pourtant, l'histoire continue.

       Honoré d'Estienne de Chaussegros, sieur de Mimet, fils de Jean pendu en Aix en 1589, fut éduqué dans la religion protestante par Blanche de Génas, sa mère. Encore jeune, il part pour la Hollande afin de s'y perfectionner dans l'art militaire. Il devint partisan du prince d'Orange, prince protestant, et sut lui être utile en diverses circonstances. En 1626, il parvint, par les armes et la ruse, à pousser un noble à la sujétion au prince. Ce qui le fit remarquer de son maître et de Richelieu, premier ministre de Louis XIII ! Ce dernier était occupé à contraindre les protestants de France à l'obéissance due au roi, en même temps, il s'occupait de quelques familles remuantes de la noblesse. Il faisait raser certaines places fortes, telles celles des Baux ou d'Orgon. Parfois, jusqu'aux fondations ! Lorsque Honoré revint en Provence, son château de Mimet était doté de trois brèches : une, face à l'église, une autre, au-dessus de la rue de l'église, la troisième à l'ouest. À la place du portail seigneurial. Mimet, l'une des 72 forteresses de Provence, était ouverte aux quatre vents, avec interdiction de rebâtir par ordre de Richelieu !

       Mais en reconnaissance de ses vertus militaires, Honoré d'Estienne, sieur de Mimet, reçut le commandement d'une troupe de 500 hommes à pied pour le roi, par ordre de Richelieu ! Un cadeau honorable et empoisonné : il fallait entretenir cette troupe et le sieur de Mimet n'était pas riche !

       En 1680, Cosme d'Estienne de Chaussegros achètera la "maison basse" qui deviendra "Château Bas" : maison moderne, confortable, adaptée à la vie nouvelle de la noblesse.

       Le château Vieux vivotera, moitié en ruine, jusque là. La Révolution n'arrangera rien, pas plus que le tremblement de terre de Rognes, en 1909. 

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