LA PLACE DES MOULIÈRES
Comme Biver, les Moulières naquirent des mines. Il fallait recevoir et loger ceux qui descendaient vers le charbon. Ils venaient de partout et lorsqu’il n’y eut plus de place à Biver, on fit les Moulières : le puits Biver-Germain ne se tenait pas loin. Tout se présentait dans la géométrie, des rues à angles droits, alors pour mettre un peu de poésie, chaque voie reçut le nom d’une fleur : myosotis, mimosa, mufliers… Cela vaut bien un illustre tartempion ! Juste au milieu, il restait un grand rectangle vide avec des platanes et autour, beaucoup de maisons, beaucoup d’enfants aussi. On fit une école vers 1959, plus tard, une mairie annexe… Bref, de place, il n’y en avait plus, Mais surtout, ce qui manquait ? L’église avec une cloche comme dans tous les villages.
Alors, ce fut un conte.
Il était une fois un petit garçon. Il s’appelait Ferrucio, né à Saint Gregorio de Veronelle, en 1919 près de Vérone, pas loin de Venise. Dès l’âge de onze ans, il est recueilli par un prêtre de Don Bosco qui se voue à l’aide aux enfants pauvres. Car en ce temps, la vie est dure et Ferrucio n’a aucune chance s’il n’apprend pas un métier. Giovanni Calabria, prêtre en un collège, le prend en protection. Ferrucio étudie pendant cinq années, on le nourrit, on le fait vivre, on le prépare à être un homme. Ferrucio n’oubliera jamais Giovanni. Et il commence en une époque bien difficile : 1935, l’avant-guerre, la guerre : il est typographe linotypiste. A-t-on besoin d’un homme qui fait des textes ou des livres dans une guerre ? La vie est dure. En 1946, Ferrucio quitte son pays et se retrouve à Mimet, à la mine, au fond pour le charbon. En bas, c’est difficile surtout que Ferrucio est petit : quand il a peur, il pense à Giovanni qui lui a appris le courage et Dieu. Alors, si un pan de mur tombe trop vite, trop près, Ferrucio prie pour lui et ses compagnons. Les années passent de la sorte, la famille, la maison, la mine, comment remercier, honorer ? … Ferrucio réfléchit.
Un jour, parce que les machines à laver se multiplient, le lavoir des Moulières est abandonné : il est juste au coin de l’ancienne place. A présent, il ne sert plus à rien et se dégrade. Les houillères de Provence le cèdent à l’archevêché d’Aix, Ferrucio n’est pas pour rien en cette affaire ! Il a son idée, maintenant, pour comment remercier, honorer…
Ce lavoir, il le répare : le carrelage, les enduits, les fenêtres, la porte, il travaille avec les maçons et il paye tout de sa poche. Il dit que c’est pour une chapelle. Drôle d’idée ! Pourquoi pas ? Ses proches comprennent : chez lui, il a une Vierge électrique et une photo de Giovanni. Ferrucio n’est pas le seul à admirer Giovanni : le Pape Jean-Paul II, l’homme en blanc, béatifie et sanctifie Giovanni Calabria le 18 avril 1999. C’est l’homme en noir, le mineur qui est content : sa chapelle est dédiée à ce nouveau saint. Pour ne pas être en reste, Mimet offre un petit campanile avec deux cloches qui marquent les heures : près de dix personnes vont travailler bénévolement pour cet ouvrage terminé en 2004, le 4 décembre. Un beau cadeau de Noël !
Ferrucio a eu dix ans pour partager et faire admirer sa chapelle ; et avant ses funérailles à Biver, c’est là qu’il a voulu passer un moment.
Bernard Duplessy